Notre identité

CE QUE L'ON DIT DE NOUS


Certes, on est fort bien entre soi, de Vinehay aux murs de l’Abbaye, de la Foulerie au Mont Castre; de là-haut, sur premier plan de bouès-jaun et de bruyère, le bocage touffu conduit le regard jusqu’à la mer, par delà les replis de Saint-Floxel et d’Ozeville. Au cœur de l’écrin verdoyant, Montebourg est un joli jeu de pierre ardoisée qu’ordonne son église... Un petit monde bien-aimé qui pourrait nous suffire. Mais quand même, on aimerait bien savoir ce que l’on dit de nous...





 «Le nom de Montebourg indique un haut lieu. La bourgade campée à mi-côte domine, non sans une certaine hautesse féodale, les herbages du Cotentin, célèbres pour leurs moutons de pré-salé, leurs chevaux anglo-normands et leurs bovins bringe-caille dont la race s’est répandue en cinquante ans sur le quart de la France.» Ce regard de 1960, qui est de Pierre Godefroy, dernier député des paysans, et ancien élève de l’Abbaye, prolonge celui de Mgr Le Nordez qui parlait de Montebourg en ces termes: «fameuse bourgade, célèbre par ses marchés, ses foires et ses moutons estimés, entourée par des pâturages qui n’ont rien à envier à ceux de Carentan... Et du flanc de la petite montagne où il est assis, le bourg semble jeter sur cette fertile contrée, patrie du beurre émérite et des bœufs à médailles d’or, un regard de complaisance et de bonté.» L’évêque était enfant du pays, il était ému.

Donc, notre réputation, c’est d’abord nos terres et notre élevage. Et la réputation - la renommée - est ancienne: un prieur bas-normand au XIVe siècle parle de nous de façon admirative enb nous flattant de “gras Païs”, terme qu’il a pu reprendre de Robert Wace au XIIe siècle, le chroniqueur du Roman de Rou. Gilles de Gouberville, vers 1560, vient négocier à Montebourg nos meilleures bêtes pour son élevage et nous acheter des cuirs. En 1631, Du Moulin, le curé de Manneval, dans son Histoire Générale de la Normandie, enfle encore les éloges: «Si vous regardez le terroir qu’on appelle le Closet et le voisinage de Montebourg, vous verrez que c’est un des meilleurs de France, foisonnant en blé et autres grains... Les herbages où, comme l’on dit, l’herbe croît du soir au matin, sont si chargés de bœufs qu’on ne peut les voir sans admiration; aussi on en tire toutes les sepmaines une grande quantité pour distribuer à la Haute-Normandie et à la France. Les cidres y abondentet sont fort excellens... Et la viande est à si bas prix à Montebourg et par tout le pays, qu’on est fort bien traité en une hostellerie pour un demi-quart d’écu à chaque repas.» Ca sent son meilleur guide touristique.




Pour autant, la réputation de richesse agricole n’est pas usurpée. Les blés ont disparu mais la spécialisation herbagère du XVIIIe siècle a fait triompher notre élevage: bœufs de viande, vaches laitières et chevaux demi-sang, les carrossiers d’hier, les selles et les trotteurs d’aujourd’hui. Le lait, le beurre, la crème, les chevau, c’est ce que l’on retrouve dans la thèse d’Armand Frémont en 1967, dans le rapport du Plan d’Aménagement rural en 1974, même si c’est pour nous avertir que tout n’est pas gagné, et qu’il faudrait se réveiller plutôt que de somnoler en “écoutant l’herbe pousser”!


Quant au bourg, il fait l’unanimité sur sa vocation agricole: “gros bourg agricole, renommé pour ses foires à bestiaux, notamment celle de la Chandeleur qui était certainement l’une des plus importantes de France” écrit Michel Hébert en 1975 dans son roman d’espionnage S.O.S. douanes... pour sauver Cherbourg. «Montebourg, gros bourg, avec une abbaye... est considérable par son commerce. Il consiste surtout dans ses tanneries de cuir fort et d’empeignes, dans sa manufacture de souliers, dans ses bestiaus gras et maigres qui se trouvent dans ses foires et marchés, dans la boucherie estimée la meilleure de la basse-province...» lit-on dans l’Almanach du diocèse de Coutances, 1773. Dans un rapport de la municipalité en 1791: “Le bourg de Montebourg contient viron 2 400 personnes. Les foires, les marchés y sont considérables”. C’était l’argument développé alors pour obtenir un commissaire de police... En 1793, un courrier du District de Valognes redit la même chose: “Le bourg de Montebourg est un  des centres les plus considérables de la région pour le commerce des produits agricoles. Il s’y tient en outre d’un marché hebdomadaire (le samedi), cinq grosses foires annuelles qui sont considérables en chevaux, en bestiaux et toutes sortes de denrées”. Les nombreux dictionnaires géographiques, encyclopédiques, universels qui fleurissent au XIXe siècle confirment et diversifient nos activités: “commerce de moutons estimés. Beau haras. Fabriques de dentelles“ (1869); “moutons, dentelles, 2 233 hab.” (1884); “fabr. de coutils, tanneries, marchés importants, beau clocher du XIVe siècle. Anc. Abbaye” (1894); “ch. de f. Et. Pépinières”  (1933), dans le style particulier des dictionnaires.
C’est pour nous la richesse, la célébrité?





Voici la réponse à cette question de la part d’un Intendant de Caen (sorte de Préfet de Région de l’Ancien régime) en 1734, qui cherchait de l’argent pour le Roi en tentant de créer des offices municipaux (payants) en Basse-Normandie: “Montebourg est un petit bourg taillable recommandable seulement par une abbaye de Bénédictins qui y est située. Les habitants en sont pauvres et aucuns d’eux le sont en état de gérer le moins des offices municipaux créés. Il n’y a jamais eu de maire”.

Pire! Du subdélégué de Valognes en 1770: “Montebourg... peuplé de la plus vile population!” Le peu de moyens des Cassins d’alors semblent se confirmer par les déclarations des Montebourgeois eux-mêmes: les Notables du bourg, administrateurs de l’hôpital (l’hospice) écrivent à “Mgr le Contrôleur Général des Finances” à Versailles en 1785: “La population  de ce bourg monte à plus de deux mille habitans mais peu favorisés de la fortune, le plus grand nombre ne subsiste que d’un petit commerce que lui fournit ses foires et marchés. Si quelque obstacle le dérange, ils se trouvent bientôt dans la misère et rarement leur procure-t-il les moyens de fournir à une maladie de quelques semaines ou aux infirmités de la vieillesse...” Sombre tableau dont on ne sortira qu’avec les lois sociales du XXe siècle...




Pourquoi donc y a-t-il ce décalage entre tant de richesses naturelles et la médiocrité de notre fortune? C’est que, dit-on, “ces Bas-Normands qui ont communément beaucoup d’esprit” savent se plaindre et cacher leur bien.


Il faut quand même reconnaître que toutes les époques ne furent pas roses, y compris ce début de XXe siècle, que l’on a souffert des caprices atmosphériques, des crises économiques, des fermetures d’entreprises et des guerres, témoin cet acte de 1389: “le païs a esté vuidé des gens qui y demouroient, et par le commandement du Roy nostre sire, et a esté le dit païs sans riens y demourer bien l’espasse de XX ans ou environ...” Ou encore cet article de Robert Reuben, pour le Daily Mail, en juin 1944, au ton volontiers dramatique: “Montebourg n’est plus. J’ai vu des villes de France dévastées, mais jamais une qui fût aussi détruite que Montebourg. La ville est morte, pas un signe de vie, partout ce ne sont que décombres... Au cours de ma tournée, je n’ai aperçu que quatre civils: tous morts... Quelques heures plus tard, je vis cependant deux ou trois enfants, des enfants perdus qui ne savaient pas ce qu’étaient devenus leurs parents. Etait-ce vraiment une ville autrefois? Y avait-on vécu comme ailleurs?




Accidents de l’Histoire qui laissent des plaies dans le cœur des générations et des cicatrices dans les pierres, mais Montebourg a toujours su renaître et se retrouver tel que lui-même.

 Alors faut-il se laisser traiter “banal chef-lieu de canton” comme l’écrit un Oratorien en 1916; ou encore se laisser travestir en “Bourg-du-Mont” dans un  mauvais roman d’André Billy en 1939? Et que dire de ce petit Larousse qui nous accorde à peine deux lignes entre Montebello et Monte-Carlo pour dire: “Montebourg, ch.-l. de c.(Manche), arr. de Cherbourg; 2 050 h. Un peu court, non? 

Jean Margueritte




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