Eglise Saint-Jacques

L'église Saint-Jacques au cœur des Cassins 

De quelque lieu qu'on parvienne à Montebourg, l'église Saint-Jacques, haute souveraine, s'exprime au regard comme un couronnement. Du sud, plantée sur son éminence, au milieu des gris de pierre et d’ardoise, elle barre l’horizon haut dressée: elle veille.


De partout, elle apparaît en pleine masse, en pleine chair de son peuple. Et les Cassins (surnom porté par les Montebourgeois comme une carte de visite, allusion ancienne aux Bénédictins qui donnaient une âme à leur abbaye), même non croyants, se reconnaissent en elle avec émotion.

                                         Un don de l’Abbaye en l’honneur de saint Jacques.



Blason de Pierre Ozenne,
abbé de Montebourg en 1329
L’église fut bâtie dans le premier tiers du XIVe siècle, sur l’ordre de Pierre Ozenne, abbé bénédictin, seigneur du lieu et, selon la tradition, Cassin de cœur et de naissance.  
Montebourg était devenu un centre important de marchés, de foires et d’artisanat, au cœur d’un riche terroir d’élevage, grâce aux bienfaits de ducs-rois normands et angevins, et à l’aristocratie anglo-normande, confirmés ensuite par les rois de France.

Le contexte général de l’Occident était à la pleine expansion démographique, ce qui peut expliquer la nécessité d’une église plus spacieuse pour une communauté active qui faisait craquer les dimensions modestes du premier sanctuaire paroissial. 
  

 Le saint Jacques du portail,  
 une statue en pierre calcaire
du XIVe siècle,  contemporaine
de l’église


Construite dans les limites de dix années, elle fut consacrée le 2 septembre 1329 et fut dédiée à Saint-Jacques en continuation de la première église qu’elle remplaçait. L’église de Montebourg, est en fait, une des rares églises des diocèses de Coutances et d’Avranches dédiée à Jacques le Majeur, la première ayant été celle du prieuré de Saint-James, aux alentours de 1060.




C'est grâce à un acte inclus dans le Cartulaire du XIIIe siècle de l’abbaye de Montebourg, en date du 14 septembre 1157 (1), dans lequel l’évêque de Coutances, Richard de Bohon, confirme un accord passé par son prédécesseur Algare avec Gaultier, l’abbé de Montebourg (1), qu’on apprend l’existence de cette première église paroissiale. Paul Lecacheux, dans sa Notice historique sur l’ancienne église romane de l’Abbaye de Montebourg au diocèse de Coutances, commente une des clauses de cet accord: “Elle porte que la paroisse, qui jusqu’alors avait son siège dans l’intérieur de l’abbaye, se tiendrait désormais dans le moustier Saint-Jacques; que l’abbé de Montebourg présenterait à l’évêque un prêtre pour la gouverner... Il existait donc une église paroissiale à Montebourg dès la première moitié du XIIe siècle, et cette église primitive, contemporaine de celle de l’abbaye, avait été dédiée à Saint-Jacques” (P. Lecacheux, op. cit. pp.11-12). Une tradition, savoureusement entretenue par Mgr Le Nordez (autre Cassin) dans ses “Travaux au pays des pommes”, prétend qu’elle a été construite pour libérer les moines des chants vigoureux des cassins qui troublaient quelque peu la plénitude de la liturgie monastique... Le trait du conteur est joli, mais est-il pensable qu’une bourgade de l’importance de Montebourg, qui dépassait largement son millier d’habitants, ait dû attendre le XIVème siècle pour avoir une église paroissiale? La cuve baptismale de l’époque romane que l’église conserve dans un bas-côté pourrait être l’ultime témoin de l’édifice qui aurait précédé l’église de 1329, la nôtre.
(La chapelle Saint-Jacques dans l’église abbatiale du monastère bénédictin de Montebourg s’est maintenue jusqu’à la Révolution.) 



 
       Une église caractéristique du Cotentin que domine un puissant clocher

    
Bâtie en pierre locale sur le plan d’une croix latine, l’église de Montebourg présente la caractéristique d’une nef sans fenêtres, à arcs gothiques, accostée de deux collatéraux, continuée au-delà du transept par un chœur à bas-côtés que ferme un chevet plat percé d’une grande verrière.
 

 
Tout l’édifice est voûté en pierre et les nervures des croisées d’ogives s’appuient sur les colonnettes de gros piliers cylindriques couronnés d’un simple bandeau à décor sommaire de feuilles de chou (l’acanthe de nos jardins) ou de feuilles de marronnier à peine écloses. A l’origine, le vaisseau était couvert en schiste bleu du Cotentin. A la croisée du transept s’élève une grosse tour carrée qui renferme les cloches et qui est couronnée d’une flèche pyramidale en pierre ajourée d’alvéoles, qui élance l’église à 57 mètres au dessus du sol (c’est le dispositif qu’on retrouve plus tardivement à Carentan et à Sainte-Marie-du-Mont).
  
 
  
 
                                                                                                         Elle est le modèle parfait des églises moyennes du Cotentin des XIIIe et XIVe siècles, faite de mesure et d’équilibre. Il se peut qu’elle ait servi de modèle à de petites églises rurales du Plain et de la région des Marais de Carentan, qui présentent avec elle des similitudes sur d’importants détails architecturaux, comme à Auvers, Marchesieux, Gorges et Périers.
 
 
 






Ruines et résurrections

Autrefois, l’église s’élevait au milieu du cimetière. Sous le second Empire, on entreprit de transporter les restes des Montebourgeois enterrés à l’ombre du clocher à l’écart du bourg. “Depuis ce temps-là, déplore Mgr Le Nordez, notre pauvre église va nu-pieds”. Les travaux ont failli entraîner sa ruine. Les piliers se sont écartés sous la poussée des voûtes: cela explique la puissance des lourds contreforts adossés au mur du midi, et le décrochement du toit.

Vint 1944. “Les durs combats qui se sont livrés dans la ville lors de la Libération ne l’épargnèrent pas” écrit Marc Thibout. la face sud du clocher fut éventrée par une bombe, son couronnement et le croisillon sud furent détruits, la toiture du croisillon nord et celle du choeur incendiées.



“mais tous ces dégâts sont maintenant réparés grâce à l'heureuse intervention de M Froidevaux, architecte en chef des Monuments historiques". La flèche qui avait disparu a été reconstruite à l’identique. 


On a posé de nouveaux vitraux en 1963, dont la magnifique verrière du choeur qui rappelle la vie, la mission de l’apôtre Saint-Jacques et son martyre.


L’église avait été réouverte au culte en 1952.

1. Cartulaire de Montebourg, n° 44 et n° 42, BnF, ms lat. 10 087. Cf. Chantal de La Hougue, Monachisme et aristocratie autour de Montebourg, fin XIe-début XIIIe, Mémoire de maîtrise sous la direction du Professeur J.-Fr. Lemarignier, Université de Paris IV, 1975.

Bibliographie sommaire

  • Paul Lecacheux, Notice historique sur l’ancienne église romane de l’Abbaye de Montebourg au diocèse de Coutances, Paris 1896, p.37 et 38 .
  • Congrès archéologique de France, Cotentin et Avranchin, 1966 (texte de G. Thibout pour Montebourg).
  • Bernard Beck, Quand les Normands bâtissaient les églises, OCEP, Coutances, 1981, 208 p.
 

Quand Montebourg couronne son «Grand Saint Jacques»

Montebourg, dans la Manche, possède une église Saint Jacques, consacrée en 1329 mais dont le vocable est attaché à la paroisse dès la première moitié du XIIe siècle. Le petit bourg célèbre son saint patron en couronnant la statue au-dessus du portail, tradition qui peut être d’origine médiévale et qui s’est perpétuée jusqu’à aujourd’hui.

Ce couronnement est l’événement majeur du culte de saint Jacques à Montebourg. Le saint Jacques du portail est une statue en pierre calcaire du XIVe siècle, contemporaine de l’église, à la sculpture très soignée, barbe et chevelure bouclées, sans chapeau, portant le livre et le bourdon du pèlerin. Elle s’apparente, fait remarquer Humbert Jacomet, conservateur du patrimoine, à certains apôtres du portail de la Calende, à la cathédrale de Rouen.

En juillet, la veille de la Saint-Jacques

Traditionnellement (c’est-à-dire de mémoire de Montebourgeois), le couronnement de Saint-Jacques se faisait aux vigiles Saint-Jacques, le 24 juillet. Aujourd’hui, il a lieu le samedi, veille de la Solennité.




Devant la foule rassemblée sur le parvis, soit le premier des communiants de l’année, soit un garçon prénommé Jacques, montait à l’échelle pour poser une couronne de fleurs rouges sur la tête de la statue du portail et mettait un bouquet dans la main droite du saint.
On chantait sur le parvis le cantique (composé en 1893) « Patron vénéré de nos pères, Saint-Jacques, entendez nos vœux! » repris aux cuivres par la musique locale, le clergé rentrait dans l’église acompagnant les reliques du saint portées par les enfants de chœur, et suivi des fidèles.


A l’intérieur, une fillette, première de la communion, en robe blanche, couronnait le saint Jacques du chœur, la grande statue de plâtre peint de couleurs sombres, tête nue, et qui porte dans la main droite un grand bourdon de pèlerin. Alors, après le Salut du Saint-Sacrement, s’élevait l’antique antienne à Saint-Jacques que tous les Cassins (surnom donné aux Montebourgeois à cause de la présence des moines bénédictins qui ont résidé à l'Abbaye pendant plus de sept siècles) frottés de religion connaissaient, « O lux, et decus Hispaniæ, sancte Jacobe...», une antienne qui a sa source lointaine dans la liturgie de la cathédrale de Compostelle et qui est ainsi une « trace d'Espagne et du pélerinage » en terre normande.

O Lux et decus Hispaniæ, Sancte 
O Saint Jacques, lumière et gloire de l'Espagne
Exaudi preces servorum tuorum  
Exauce les prières de tes serviteurs
Et intercede pro nostrâ salute  
Et intercède pour notre salut
Omiumquepopulorum.  
Et celui de tout le peuple.
                                     
Jusqu’aux années 1970, le prêtre et ses clergeons formaient la procession au parvis emmenant le reliquaire Saint-Jacques qui était conservé dans la sacristie. 


Depuis, l’usage s’en est interrompu. Comme les reliques, l’antienne a disparu, et le Cantique à Saint Jacques, « Patron vénéré de nos pères... » n’est plus guère chanté qu’en trois couplets et refrain sur la dizaine qu’il comptait à l’origine.

Le couronnement, une survivance du Moyen-Âge?

La description la plus ancienne du Couronnement qui nous soit parvenue remonte aux années 1850. Elle est fait partie des souvenirs d'enfance de Mgr Le Nordez, enfant de Montebourg devenu évêque de Dijon.

Mais le rituel qui consiste à couronner la statue d’un saint patron est un geste familier dans les confréries à la fin du Moyen-Age et au XVIe siècle. Ainsi, à L’Aigle, dont la confrérie Saint-Jacques « groupait, en principe, les anciens pèlerins de Saint-Jacques-de-Compostelle et, sans doute, les aspirants au voyage et dévôts à Mgr Saint-Jacques ». Or, il y avait une confrérie Saint-Jacques à Montebourg, mentionnée en 1690. Si donc le Saint-Jacques du portail était destiné dès l’origine au rôle de veilleur faisant face à la rue Saint-Jacques pour accueillir symboliquement les pèlerins qui venaient d’Angleterre, on peut affirmer que le couronnement actuel a ses racines au Moyen-Age. Mais ça reste une hypothèse.

Une manifestation identitaire pour les Montebourgeois

Montebourg a toujours fait du Couronnement une manifestation identitaire, et c'est toujours vrai aujourd'hui. Ce fut particulièrement manifeste en 1944 : juste un mois après l’engloutissement de la petite ville, les Montebourgeois avaient tenu à célébrer le couronnement. 


Le couronnement dans les ruines, en 1944, pour exprimer la volonté de survivre.
Un maître maçon du lieu avait “recollé” la tête de l’apôtre qui gisait sur le parvis pour que le rite s’accomplisse. L’enjeu était symbolique. « Montebourg était libéré, mais hélas la ville était détruite et l’odeur des incendies montait encore des ruines au soir du 24 juillet. Saint Jacques, toujours debout sur le portail de son église dévastée, reçut, après le chant trois fois répété de son antienne, le salut de l’armée libératrice de la musique américaine. Souvenir inoubliable... » écrit le correspondant du journal local.

Jean Margueritte