Montebourg en 1944


 
 
La fin d’un monde
 
 
Du 8 au 19 juin, les Américains ont butté douze jours sur la résistance des Allemands accrochés à Montebourg, malgré le feu des obus de marine qui pilonnaient sans discontinuer.
Au milieu, souvent mêlés aux combattants entre deux lignes de feu où les ennemis pouvaient se voir, tantôt sous la menace des uns, tantôt mis en joue par les autres, les habitants ont tenté de survivre au chaos meurtrier. Certains ont fui le brasier, d’autres sont restés dans les caves jusqu’à ce que le silence se fasse. Ils ont laissé 65 des leurs. Hagards entre les pignons calcinés, ils ont  pleuré leur ville informe à l’odeur rauque, leurs souvenirs perdus, et pour certains leur jeunesse abîmée.
Etait-il possible qu’il y ait un lendemain ? 

Jean Margueritte.
  
Ils ont pleuré leur ville informe.

Dans la nuit des caves

Cette nuit-là, celle du 5 au 6 juin, réveillés par les vagues d’avions qui ne cessaient de passer, les Montebourgeois étaient aux fenêtres, aux lucarnes, dans les greniers, pour voir... Une féérie. La libération dont ils étaient certains, commençait par un feu d’artifice. Deux jours, ça durerait deux jours, et puis ce serait fini, pensaient-ils.
Deux jours plus tard, quand les premiers obus tirés de la mer sont tombés sur le bourg, explosant les façades, quand les premières maisons se sont embrasées sous les coulées de phosphore, ce fut la panique. Dans l’enchevêtrement de pierres, de fils électriques à terre, dans la poussière, les tisons, le nez piqué par l’incendie, dans les hurlements de la mitraille, au risque des éclats, ils ont couru pour se sauver. 



Dans l’enchevêtrement de pierres, de fils électriques à terre, dans la poussière, les tisons...
 Ceux qui n’avaient pas fui le long des haies, pour gagner la campagne, avaient cherché abri dans les caves aux murs épais : sous la Poste, sous la maison Bazin (une ancienne maison noble), sous la mairie, chez le maire, Eugène Ruet, chez le cidrier Guyonnet, sous l’Hospice... Certaines se sont révélées précaires. Les maisons brûlaient au-dessus, ou elles étaient trop exposées. Il a fallu partir précipitamment, sous les gerbes d’éclats d’obus : il y eut des morts, des familles fauchées dans leur course à la survie. 
Presque toujours, la société d’en haut se reconstituait vite, alvéole par alvéole, même à 115 sur 75 m : les cathos avec les cathos ; les riches, les propriétaires, les vieilles familles entre elles ; les autres, les pauvres, les pouilleux entre eux. Et plutôt près des portes. Une adolescente de l’époque, Madeleine Alexandre, a gardé toute sa vie l’odeur d’un lapin qu’on grillait sur les cendres de la Poste incendiée, pas pour elle. « Nous, on avait des poux » dit-elle. Mais il y eut des caves solidaires. 


Tapis, hébétés, dans la quasi obscurité... 

Certains sont restés là douze jours. Tapis, hébétés, dans la quasi obscurité, dans l’odeur pestilentielle de l’humanité entassée, sans air, sans eau, dans leur sueur et leurs toxines, recuits par les pierres surchauffées par l’incendie qui faisait rage, au-dessus.

L’incendie qui faisait rage, au-dessus.
Parce qu’elles croyaient mourir de suffocation, des femmes qui hurlaient se sont précipitées pour sortir malgré les obus qui dehors éclataient en gerbes mortelles. Les hommes ont lutté contre elles. Un soulard a fini par faire une crise de délirium. On calait les enfants entre des jambes, comme on pouvait. Les hommes restaient debout. Certains jouaient aux cartes, par crânerie. Presque tous priaient. 
Des hommes sortaient pour aller traire les vaches égarées dans la tourmente, au risque de se faire descendre par un Mongol en vert-de-gris qui pillait les maisons, ou d’être fauchés par une giclée d’éclats. Certains ont même fait du pain dans un four de boulanger encore debout. Ils ramenaient des nouvelles, les maisons encore debout, un drame à quelques centaines de mètres, la situation d’autres refuges... 

Une accalmie, et on faisait la cuisine pour tous.

La peur, parfois jusqu’à la folie


Les caves étaient dans la guerre : des blessés arrivaient, des déserteurs aussi, morts de trouille. Comment garder des Polonais déserteurs quand les Américains s’annoncent ? « Tuez-le sinon on y passera ! » criait une voix, puis d’autres. Les hommes avaient fini par convaincre ces honteux de l’Histoire de partir. 
Le sang, la mort. L’une des caves était à la limite des lignes : en plein cœur des combats, jamais à l’abri d’une grenade dans la progression des Américains, d’une rafale de nettoyage à la reprise allemande. La terreur, alimentée par la nuit. Tous ceux qui se souviennent ont eu peur, jusqu’à la folie pour certains : une jeune femme qui s’accrochait à son bébé poussait des hurlements de bête traquée quand on s’approchait d’elle. 
« J’avais 17 ans, je ne voulais pas mourir , expliquait cinquante ans plus tard une jeune fille de 1944. C’était comme un choix : ou conquérir le calme, ou glisser dans la folie. Je n’ai pas voulu sombrer. »       

La cave de la Poste: une centaine de personnes réfugiées sous l’immeubles qui avait brûlé.
Il y avait douze jours et douze nuits qu’ils étaient là, sous la Poste incendiée. Le silence s’était fait à l’extérieur, plus de passage, plus de bruit. Dans leur trou, ils comprenaient que la bataille était finie, mais ils ne savaient pas qui était vainqueur. 
Puis quelques silhouettes aperçues par les soupiraux. Le cordonnier tente une sortie : il se retrouve immédiatement la poitrine contre un fusil braqué. C’étaient des Américains fatigués, pas rasés. Ils ont fait sortir tout le monde, méfiants : ils pensaient trouver des Allemands. A mesure que le défilé de familles, d’enfants enflait, leur surprise grandissait: tant de vies après les destructions, était-ce possible ? On attendit que les cameramen soient là pour refaire le défilé des Montebourgeois sortant de leur cave. Un petit garçon fut mis dans les bras de son frère aîné, 13 ans, pour les besoins de la caméra qui fixait les visages sur la pellicule... 

 
Par flots, ils sont sortis de leur enfer.
 

Familles, enfants, beaucoup d’enfants...
« J’ai vu flamber Montebourg, flamber ma rue , a dit une rescapée (Marie-Louise Tabarin)... Je ne savais pas encore que c’était toute ma jeunesse qui flambait, tous mes projets, mes études réduites à néant. Notre jeunesse a été complètement perdue, parce que nos parents ont eu besoin de nous pour les aider à reconstruire... Et puis, les années ont passé... »

Les vaches dans la bataille

Montebourg était un bourg rural : douze foires aux bovins et aux chevaux dans l’année, dont la Chandeleur qui, avant la guerre, avait acquis une réputation nationale et attirait même des sociétés d’éleveurs d’Amérique. La marée des “clos” montait jusqu’aux murs des jardins et aux cours de la petite ville. Dans la bataille, les vaches en particulier devaient jouer un rôle important dans la survie des réfugiés des caves, de l’Abbaye et de l’Hospice.
Du haut du bourg, une vache, affolée par les tirs d’obus, avait échappé des mains  de Mme Jannet, la fermière de la Main Levée qui la trayait au petit matin. Lui renversant sa « cone » presque pleine, elle s’était enfuie vers le bourg... 

 

Une jeune vache dans les ruines de la Place Saint-Jacques : pendant la bataille, elles ont été les nourricières de la population réfugiée dans les caves. 
Mères nourricières

Est-ce cette vache que deux hommes, à la recherche de laitières errantes dans le bourg, ont fait entrer sur le parquet du magasin de nouveautés dont la cave servait de refuge à une foule de gens, dont des enfants? Ce jour-là, Marcel Marie, le jeune époux d’une employée de chez Anffray, attire la vache errante dans le magasin, profond, comme un couloir. Avec l’aide de Jean Legret, il coince la vache entre les comptoirs, les pièces de tissu et les boîtes et il la trait. Soulagée, la vache laissa un large souvenir dans la boutique et sortit. Le 11 juin au soir, le feu prenait aux toitures de la maison Anffrey.
Les vaches nourricières n’étant jamais loin, des hommes courageux sortaient à leur tour de toutes les caves et autres abris pour rapporter le lait aux enfants, aux gens dont les réserves embarquées à la hâte n’avaient pas tenu deux jours. Exercice pas facile : les vaches étaient affolées. Les hommes avaient la peur au ventre. 
Un des pensionnaires de l’Hospice qui ne manquait pas de courage, allait deux fois par jour traire la vache qui se trouvait dans le petit clos, à proximité de l’établissement. Un soir, il trouva l’animal agonisant. Sous la mitraille, il accomplit alors le travail d’un boucher pour que la viande serve à la nourriture de tous. Scène quotidienne dans le Cotentin ravagé par les combats. 
Les bouchers n’étaient pas en reste : par exemple, dans la cave Guyonnet, à la Foulerie, il y a deux bouchers, Aristide Lelong et son commis, Jules Lebréquier. Avec Emile Aubert et Auguste Chaulieu, ils allaient tuer et découper les bêtes blessées dans les champs voisins. A la Foulerie, grâce aux vaches, on n’a jamais souffert de la faim. 

Dans la fuite des hommes, les vaches suivaient d’instinct
Jusque dans la fuite des hommes, les vaches étaient présentes. A la Foulerie, quand à au moins deux cents, les Montebourgeois se sont engagés dans une fuite périlleuse entre Allemands et Américains vers Sainte-Mère-Eglise, le père Cauchard avait emmené sa vache sur le dos de laquelle il avait attaché un ballot de ses affaires. Derrière le long troupeau humain, deux vaches, venant d’on ne savait où, affolées par les bruits de la mitraille, avaient suivi d’instinct. « On prenait soin de ces vaches qu’on avait récupérées, expliquait dans le récit de sa fuite un des réfugiés : on ne savait pas ce qu’on allait trouver quand on serait à l’abri des combats. » Dans la longue montée à découvert vers la Lande Mangon où la longue colonne humaine était une cible immanquable pour l’artillerie allemande qui prenait la route en enfilade, à l’angoisse de cette menace permanente dans le dos s’ajouta celle du franchissement d’un barrage de mines antichars. Les Américains, qui accompagnaient le groupe, protégés d’un éventuel feu allemand dans les fossés, encourageaient à passer : il n’y a pas de danger, disaient-ils, il fallait du poids pour les faire sauter. Les gens passent. Mais il y avait le père Cauchard et sa vache : une vache, c’est autrement lourd qu’un homme ! Un Américain s’énerve, met en joue l’animal en criant. Que s’est-il passé ? La vache eut peur, franchit les mines d’un bond et détala avec son ballot laissant son propriétaire derrière... 

Un cheval errant entre les maisons en feu
Les vaches n’étaient pas les seuls animaux à être pris dans le tourbillon mortel de la folie de feu et de fer qui a englouti Montebourg dans le néant. 
Les cochons, d’abord, élevés dans les cours, qui furent sacrifiés pour la survuie de tous, y compris par les Allemands eux-mêmes, seuls maîtres de la ville. Les chiens aussi : ils ont suivi souvent le destin de leurs maîtres, certains la vie stoppée net par un éclat d’obus. Les ânes ont servi, quand on pouvait les atteler, à ramener des vivres et des couvertures pour les réfugiés. Et il y eut ce cheval, symbole de la détresse partagée par tous les êtres vivants dans ce chaos mortel : c’était Place du Petit Marché. Tout était à feu, la mairie flambait, la maison Halley flambait, les rideaux volaient de tous côtés. Un cheval blanc errait sur la place, halluciné. Le maire, M. Ruet, et son épouse fuyaient vers l’Abbaye. Le maire le caressa, tristement : « Mon pauvre bonhomme, tu ne vas pas être longtemps en vie ! »

Place Nationale, deux chèvres errent dans Montebourg en ruines, déserté. Au sol, un cheval, fauché par un éclat d’obus un jour de feu et de sang.
 
Après la tourmente, les carrioles attelées ont réapparu dans les ruines.
Fuir !

Les Montebourgeois cherchaient à sortir de l’enfer. Les obus et la mitraille, les caves devenues fournaises à cause des maisons qui brûlent sous les coups des petits obus au phosphore, l’air irrespirable de poussière, et cette odeur tenace d’incendie qui obsède... Un seul désir : fuir !


Les maisons qui brûlent sous les coups des petits obus au phosphore.
A l’hospice, les caves donnant sur la jardin sont surpeuplées, les blessés s’entassent, la chapelle est en feu. Le drame survient. 
Tout à coup, un obus explose au ras du trottoir, devant la porte du bâtiment principal de l’hospice...: un bruit épouvantable, puis une fumée étouffante, des cris déchirants, il y a des morts, des blessés... Sœur Louisa est sous l’escalier avec une gerbe d’enfants. Parmi les douze petits orphelins qui vivent à l’hospice, il y a quelques Montebourgeois, un petit Fortier, des Dufort et aussi tous les petits Alix dont “Charlot”, 9 ans, six gamins qui ont perdu leur mère deux ans auparavant, et dont les âges vont de 13 ans pour le “grand” à 5 ans pour la toute petite. Ils ne savent pas que leur dernier soutien, leur père, vient d’être mortellement blessé dans l’explosion : M. Alix était allé traire pour ravitailler les gamins de l’hospice : l’obus qui a éclaté dans l’entrée l’a fauché, les deux seaux de lait à la main... 
Sœur Louisa, affolée, cherche à fuir avec sa nichée par le jardin pour s’abriter dans les chasses. Dehors, la mitraille hache les pommiers, les éclats sifflent, frappant les murs et les toits, les mottes de terre explosent et pleuvent de partout... Comment franchir le jardin, à découvert? Il faut sortir vite, courir jusqu’à la boulangerie... Mais la toiture de la vieille boulangerie ne tient pas. La religieuse dégage les enfants des gravats, tente de se replier vers les caves mais se trouve repoussée par les Allemands. Les deux plus petits dans ses bras, elle conduit sa nichée dans la buanderie... Un gendarme qui a  abandonné les signes de son uniforme pour ne pas attirer de risques sur le groupe fait passer la rivière aux enfants. « Malgré tout, on a ri, dit Charlot en racontant l’épisode : il a fallu qu’il fasse passer la sœur ! »
De l’autre côté de la rivière, les Allemands sont encore là, tapis. « L’un d’eux nous fait signe de nous coucher. On a attendu. A peine a-t-il le dos tourné que le gendarme nous dit de courir en agitant nos mouchoirs... » Au détour de la chasse, cent mètres plus haut, un char barre le chemin, accompagné de soldats. « Les Américains ! On sort les mouchoirs. Les soldats nous font signe d’approcher. » C’en est fini de la guerre pour la bande de gamins de Sœur Louisa. Ils sont emmenés en jeep dans un camp militaire à Azeville, puis au presbytère de Sainte-Mère-Eglise.



Fuir vers Emondeville, vers Neuville, vers Sainte-Mère-Eglise, libérées.

Par groupes, ils ont quitté leurs caves avec leurs maigres baluchons parfois dérisoires.



Les Américains se mêlent des affaires municipales... en toute illégalité

Le temps de prendre la mesure de Montebourg en ruines, et les Américains s’étaient installés dans la Cour Bazin (la grande maison dont les caves avaient abrité de nombreux habitants pendant les deux terribles semaines de la bataille). La population commençait à revenir. Fernand Levoy, employé à la mairie, rentrait à vélo de Magneville d’où il avait appris la libération de Montebourg. « J’eus un coup de cœur en découvrant le désolant spectacle de la route d’Eroudeville : autour de l’église Saint-Jacques dont il ne subsistait qu’une partie de la tour, ce n’étaient que ruines : pas un toit, pas un immeuble debout dans le cœur de la cité ». Il rencontra le secrétaire de mairie, Eléonore Marie, qui lui dit que le Conseil municipal était en réunion, et venait d’élire un nouveau maire, après avoir “démissionné” le maire en poste, Eugène Ruet. 


La Mairie avait été incendiée aux premières heures de la bataille de Montebourg.  
En effet, « le détachement américain qui venait de s’établir à Montebourg, avait demandé que le conseil municipal élu avant guerre et toujours en fonction choisisse en son sein un nouveau maire, explique Fernand Levoy. Et c’est ainsi que MM. Eugène Ruet, Jules Varin, Joseph Tabarin, Paul Boulot, Edouard Jourdan, Pierre Marie, Paul Jannet, Auguste Bigot, Lucien Hébert et Eugène Nédelec déclarèrent nommer et choisir M. Albert Pèlerin, “sans aucune force et par notre libre volonté...” jusqu’au moment où il y aura une élection générale du gouvernement de la France. »



Les Américains avaient décidé de prendre en main les destinées des populations libérées.
L’événement était symptômatique de la politique que les Américains comptaient mener en France : ils avaient avaient prévu intervenir directement dans les affaires intérieures françaises dès la libération du territoire. Ils avaient décidé que les territoires libérés ou vaincus d’Europe seraient placés sous le gouvernement militaire allié, l’AMGOT, ce que contestait le général De Gaulle qui ne voulait pas que la France soit traitée comme l’Allemagne vaincue. Mais, les Américains avaient beaucoup de mal à reconnaître la légitimité du général De Gaulle et du gouvernement d’Alger. Dès avant le Débarquement, le général avait retiré les officiers français des “Civil Affairs Teams” (des équipes alliées qui traiteraient des problèmes intérieurs en France) et avait décidé de nommer des commissaires de la République (préfets et sous-préfets) en prévision de la libération. 
Pendant le flou des quelques semaines de juin où les Américains ont été seuls sur le terrain, aucune autorité française n’était sur place pour prévenir l’application de la politique des Américains et ses « abus de pouvoir » comme celui accompli à Montebourg. « C’est en effet en toute illégalité, conclut Fernand Levoy, que le conseil municipal fut mis dans l’obligation d’élire un nouveau maire. »
  
Les “tousées” du 10 juillet
On lit sur le journal des frères de l’Abbaye en date du lundi 10 juillet 1944 : 
«L’événement sensationnel de la journée est la tonte des femmes et des filles de Montebourg qui ont servi les Allemands et ont mené avec eux la bonne vie... Plaise à Dieu que ces mesures de représailles, d’où la haine n’est pas exempte, n’aient pas une funeste répercussion dans les actes des Allemands encore maîtres d’une partie de la France.»
Des femmes ont donc été “tousées” (c’est du Normand. Traduction : tondues) sur la Place du Petit Marché, dans le cadre hallucinant des pignons calcinés, des façades béantes d’où toute vie avait disparu. Des jeunes avec brassards tout neufs au sigle des FFI ont manié les ciseaux avec gouaille et détermination devant une foule importante. Il y eut quand même des murmures. Un jeune soldat américain, écœuré par ce spectacle déroutant, descendit le Rivet, très troublé, et s’adressant à une femme qu’il croisait dans la rue : «Madame, c’est la révolution!»
Toujours sur le journal des frères, à propos de ces femmes punies, il est noté : «Elles commencent à avoir, dit-on, une certaine contrition.» L’un d’elles, traumatisée par ce qui lui était arrivé, est allée se suicider après l’événement. Elle élevait seule sa petite fille, et les Allemands, connaissant sa détresse, lui avaient donné des ménages dans la partie qu’ils occupaient à l’Abbaye. A l’occasion, ils lui offraient du pain et des reliefs de repas à emporter chez elle. Ce lundi-là, elle est rentrée, la tête tondue, jusqu’à chez elle, rue de l’Abbaye. On l’a retrouvée étendue, noyée dans moins de 50 cm de purin! En racontant cet épisode, la narratrice, Camille Marie, ne pouvait retenir ses larmes. 
Quatre jours plus tard, le 14 juillet, sur la même place, autour du Poilu de 14, intact, les Américains . «On sentait beaucoup d’émotion dans la foule assez nombreuse». La même foule. 

La Place du Petit Marché, le 14 juillet, quatre jours après l'épisode barbare aux conséquences dramatiques
C’est sur la même place, quelques jours plus tard, que Montebourg a célébré le 14 juillet avec le concours des Américains : « Devant le triste spectacle des ruines, écrit Fernand Levoy, il était difficile de parler de fête nationale, mais les présents pouvaient se réjouir d’être sortis vivants de ce cauchemar.... Le spectacle donné par les Américains après les cérémonies était fait pour l’amusement. On remarquait tout particulièrement la grosse caisse, car le musicien tapait avec entrain et force sur les portraits d’Hitler et de Mussolini, entourté de l’inscription “Beating the Axis” (on cogne sur l’Axe), allusion à l’alliance germano-italienne.»


“Beating the Axis”