Balade dans un Montebourg qui n existe plus

En 1944, en moins de quinze jours, entre le 8 juin et le 19 juin, Montebourg a été englouti dans les gerbes de feu, les éclats de métal lancés de la mer et les incendies au phosphore des Allemands en déroute. Englouti dans le sang aussi, et jusque dans les mémoires, les objets, les lettres, les photos, les livres ayant été réduits en cendres.

Le nom de Montebourg se prononce comme on savoure une “goulée” de cidre riche en fruit et en terroir, avec le même mouvement gourmand des lèvres et de la langue.
Quand on regardait le bourg avec assez de recul, ce qui s’imposait d’emblée (ce qui s’impose encore), c’était l’implantation qui explique son nom: Montebourg est construit au flanc d’un mont.

Le bourg, accroché à son rocher, rassemblait sa masse de pierre et d’ardoise en demi-teintes sur l’horizon limité par deux autres monts, plus élevés, qui barrent l’horizon: le Mont Castre et la Museresse. Il se ramassait autour de l’église Saint Jacques, à la fois élancée et massive, profondément enracinée dans le rocher et dans son peuple, protectrice. L’église est le seul véritable ornement du bourg et, visible de très loin, elle lui donne son identité.

Sur le côté, discrète, l’Abbaye, qui a donné naissance au bourg, veille..

Montebourg est au cœur d’un terroir consacré très tôt à l’élevage et dont les chevaux, les bovins et les moutons ont fait la renommée. La vache normande est née là, d’une savante sélection de la bonne race locale, la Cotentine, et dont l’un des premiers taureaux fondateurs est né dans les étables des frères de l’Abbaye dans les années 1870.

Montebourg, tout au long du XIXème siècle, et jusqu’après la Seconde Guerre mondiale, est un lieu privilégié d’échanges, de marchés et de foires comme la Chandeleur, la Saint-Jacques ou la Saint-Floxel, avec un artisanat du cuir et de la viande particulièrement développé, et des auberges pour héberger et nourrir herbageurs, marchands et acheteurs les jours où le bourg s’anime de bêtes et de gens.

Malgré une très forte activité économique tout au long du XIXème siècle et jusqu'en 1939, la petite ville a été atteinte de plein fouet par l'exode rural et par la dénatalité comme l'ensemble du Cotentin rural: sa population est tombée de 2 500 habitants en 1841 jusqu'à 1 647 après la saignée de 1914-1918 qui a fait 67 victimes, et à 1 542 habitants au rencensement de 1936.

Tel était le bourg dont le fer et le feu allaient détruire le savoureux puzzle que les siècles avaient assemblé et dont aujourd’hui, il reste si peu de choses.


Nous avons payé dans nos chairs et nos pierres le prix de la Liberté de tous.


Aujourd’hui, quand un visiteur qui passe trop vite, ou un voisin oublieux de notre Histoire, trouve Montebourg terne, sans attrait, nos blessures s’ouvrent à nouveau sous l’injustice: comme Valognes, comme Saint-Lô, comme tant d’autres villes normandes, nous avons payé dans nos chairs et nos pierres le prix de la Liberté, la nôtre et aussi celle de tous les autres peuples, en Europe, et même ailleurs.

Nos visages de grands brûlés, de chairs fondues, plaquées de cicatrices, ne devraient inspirer que du respect, si on n’est pas capable de tendresse  reconnaissante....

Commençons notre balade dans ce Montebourg oublié et précieux.


            Vue aérienne de Montebourg prise par un avion espion britannique en octobre 1943

La rue Saint-Clair


Rue Saint Clair
La rue Saint-Clair est un prologue: elle achemine vers Montebourg bordée de belles façades de la fin du XVIIIème siècle, mais ce n’est pas tout à fait Montebourg: elle est située sur la commune de Saint-Floxel.

Avant le règne de Louis XVI, on n’entrait pas ainsi dans Montebourg. C’est le Roi qui, en juin 1786, inaugurant la route nouvelle de Paris à Cherbourg au pas des chevaux de son carrosse pour pouvoir saluer les populations normandes de son Royaume, en a ouvert l’usage.

Un pont de pierres de taille et de moëllons avait été jeté au-dessus de la Durance qui sépare Montebourg de Saint-Floxel dans un quartier qui était, à cause de la rivière, celui des tanneurs et des foulons. Au début du XXème siècle, il n’y avait plus qu’une tannerie, celle d’Eugène Ruet, qui fut maire de Montebourg jusqu’en 1944. Une autre avait laissé place à une scierie-menuiserie, celle d’Albert Hamelin.






LA RUE DE CARENTAN                                                                           



Depuis le carrefour de Quinéville, la rue de Carentan monte dur vers les places du bourg, regroupant ses commerces en boutiques serrées: boucheries-larderies, boulangers, marchands de grains et d’issues, forgerons, maréchaux-ferrants, carrossier, bourrelier, chausseur, cirier-ciergier, droguiste, marchand de journaux, et cafés...

A l’entrée de la rue, les deux premières maisons qui l’encadrent ont de la classe: à gauche, une belle propriété de la fin du XVIIIème siècle, à fronton, entourée de murs, allait servir de Poste à partir des années 1930 jusqu’aux ruines de la Libération: ses caves voûtées devaient abriter une centaine de Montebourgeois pris dans les combats de la bataille de Normandie en juin 1944: ces réfugiés seront les premiers libérés de Montebourg.

A droite, face à la “quarre à Bignon”, du nom du café-restaurant qui faisait l’angle de la route de Quinéville désormais baptisée rue Monseigneur-Le Nordez, avant qu’il ne disparaisse dans un incendie, se dresse à la “quarre à Marie” la belle façade elle aussi XVIIIème de la maison Pergeaux, avec sa statue en angle, sa glycine et sa couverture en pierre bleue: une maison de propriétaires “faisant valoir”, dont l’un d’entre eux signa le cahier de doléances de Montebourg en mars 1789, et d’autres se consacrèrent à l’Eglise.



LE QUARTIER DE LA FOULERIE                                                             


C’est le Montebourg populaire et pittoresque, surnommé l’Ile d’Amour, quartier des foulons et des tanneurs qui vivaient parfois les pieds dans l’eau quand les grosses pluies enflaient au gué la Durance dont les eaux couvraient jusqu’aux plots du douict.
C’est par ce gué qu’on entrait dans Montebourg avant l’ouverture de la route royale quelques années avant la Révolution, passage unique avant de grimper un raidillon difficile en hiver, surnommé le “Grilloux”, du verbe “griller” qui signifie en parler normand: glisser, déraper.




LES HALLES                                                                                           




Les vieilles halles médiévales ont fini par être vendues à l’encan, pierres, bois et couverture de schiste bleu. C’était en 1883. A leur emplacement s’édifièrent des halles au goût du jour, de style Baltard, où entraient la fonte et le fer.
Derrière, la rue des Halles, bordée d’une alignée de commerces, faisait le lien entre la rue de Carentan et la Place du Petit Marché.



LA PLACE JEANNE D’ARC                                                                      


Bordant les halles, la Place Jeanne d’Arc ne se distingue pas de la Place Nationale, la place principale, si ce n’est par l’angle que forme l’Hôtel Alexandre, l’Hôtel “Pied de Chou”, et surtout, depuis 1899, par la Jeanne d’Arc dont le cheval se cabre sur son socle.

C’est un fils du pays, Mgr Le Nordez, évêque de Dijon, qui a offert l’œuvre à son Montebourg natal. La monture est d’ailleurs une création de son oncle, sculpteur.

La statue fut placée juste en face de la maison natale de l’évêque dont le père était tailleur d’habits. Elle fut inaugurée en octobre 1899, au cours d’un dimanche de fête avec messe, banquets, discours-fleuves et cavalcade, dans les guirlandes fleuries et les oriflammes tricolores. Une fête française par excellence.

La Place Jeanne d'Arc a été souvent le lieu de rassemblements tels que les fêtes gymniques organisées par le Patronage paroissial, les fêtes patriotiques comme celle d'août 1915 où s'étaient rangées pour une revue militaire les troupes belges réfugiées à Montebourg comme dans d'autres villes et bourgs de la Manche après l'invasion du petit royaume par les armées allemandes en 1914.

 


LA PLACE NATIONALE                                                                           


Au gré des tempêtes de l’Histoire et des certitudes du moment, elle s’est appelée Place Royale, puis Place Nationale, puis Impériale, à nouveau Royale, Nationale sous Louis-Philippe, à nouveau Impériale sous Napoléon III, et définitivement Nationale... jusque dans les années 1960.

C’est la Place des foires, par excellence. Il y en a 11 dans l’année, presque une par mois, la Chandeleur, la Mi-Carême, Pâques Fleuries qu’on n’appelle plus autrement que les Rameaux, les Rouaisons (à l'Ascension), la Saint-Jacques, la Mi-Août, la Saint-Crespin... A la Saint-Floxel, le 17 septembre, 800 chevaux attendent les militaires de la remonte venus acheter ces Normands solides et nerveux qui serviront dans la cavalerie ou dans l’artillerie.

A la Chandeleur, ou à la Mi-Carême, ce sont des milliers de bovins de race normande qui “repoussent” les murs du bourg par leur densité. Les jeunes taureaux partent d’ici par centaines, à prix d’or, pour les départements français où ils assurent le succès toujours croissant de la race normande conquérante. Certains même traversent l’Atlantique pour le Brésil, l’Uruguay, le Canada ou les Etats-Unis, pionniers qui feront souche et prospèront, au point qu’en ce XXIème siècle débutant, c’est la Colombie qui possède le troupeau de Normandes le plus nombreux au monde, devant la France!

La Place Nationale est le poumon économique du bourg. Quand, vers 1770, la route royale, future Nationale 13, fut décidée et tracée, l’abbé de Montebourg, supérieur de l’Abbaye et seigneur de Montebourg, mobilisa les habitants pour obtenir des ingénieurs le passage de la route non pas hors les murs, c’est-à-dire rue des Juifs, au sud de la ville, mais en plein bourg, quitte à démolir quelques maisons et à bouleverser des vergers et des jardins, pour desservir directement le commerce et les foires.

Dans le haut du bourg, dans la direction de Valognes, la Place devient rue : sur la gauche, le dernier abbé, Mgr de Talaru, qui était aussi évêque de Coutances, y avait établi un atelier de dentelles pour les Montebourgeoises sans travail: pour lutter contre le chômage, comme on dirait maintenant.


LA GARE                                                                                               


Montebourg avait manqué son rendez-vous avec le train en 1858: la ligne Paris-Cherbourg passait au large. le maire d’alors n’en avait pas voulu. Pourtant, même à 4 kilomètres du bourg, la gare portant son nom avait considérablement étendu l’aire géographique de ses plus grandes foires, la Chandeleur notamment.

En 1886, Montebourg allait être directement desservie depuis et vers Paris grâce au train secondaire (que d’aucuns surnommeront le “Tue-Vaques”) venant de Barfleur et Saint-Vaast et aboutissant à la grande ligne à la gare située au Ham via Montebourg-Ville. Cette concrétisation fut la bataille d’un châtelain des environs de Montebourg, le Comte César de Pontgibaud, conseiller général, qui demeurait au domaine de Fontenay à Saint-Marcouf: il a déployé toute son énergie et toute son influence d’aristocrate pour faire aboutir le projet de relier le Val-de-Saire agricole à Montebourg, lieu de marchés et de foires importantes.

La ligne devenait ainsi un atout majeur pour faire notamment de la Chandeleur, concours-foire de jeunes taureaux normands, un rendez-vous de renommée nationale. Ce fut fait. On comptait près de 5 000 bovins les deux jours Chandeleur en 1896, 3 500 dont 1 200 taureaux pour le seul 2 février 1922... Il fallait jouer des coudes entre les animaux. On expédia jusqu'à 250 wagons de bestiaux au départ des deux gares de Montebourg!

La ligne connut de sérieuses difficultés après la crise de 1929, et dès 1931, la gare de Montebourg-Ville fut fermée au trafic voyageurs, alors que le trafic marchandises, pommes, produits maraîchers et surtout bovins ne ralentissait pas. La pénurie d’énergie qui marqua l’Occupation, les restrictions rouvrirent la ligne aux déplacement de voyageurs, mais surtout, la gare de Montebourg-Ville devint l’un des “magasins” les plus importants du Cotentin pour stocker puis acheminer les matériaux de la construction des défenses du Mur de l’Atlantique entreprise par l’organisation Todt pour le compte des Allemands.


LE CALVAIRE ET LE PATRONAGE                                                           


A l’entrée de Montebourg, côté Valognes, le haut calvaire planté au sommet de degrés imposants indique au visiteur qu’il entre en terre chrétienne. Le crucifix est l’héritier de la première grande mission de reconquête catholique qui ait eu lieu à Montebourg, en 1822, à l’époque du Roi Louis XVIII, pour exorciser les ruines et les peurs de la Révolution.

Non loin, se dressait le Patronage, un bâtiment de la fin du XIXème siècle, qui abritait les “œuvres” de la paroisse pour les jeunes, l’Etoile de Montebourg, à la fois société gymnique, troupe théâtrale, fanfare et équipe de football. Cette équipe, avec d’autres joueurs cassins, donna naissance en septembre 1932 à l’ASM, dont les présidents d’honneur furent Joseph Lecacheux, député de Valognes, et René François, le maire de Montebourg, et le président, Théodore Digne.

Quant à la grande maison qui ouvre le bourg en venant de Valognes, qu’on appelle “maison Saint-Sulpice” (et qui n’était pas le presbytère), elle avait été donnée à la paroisse, et elle servit de kommandantur sous l’Occupation. Un blockhaus y avait été édifié pour défendre l’entrée de Montebourg contre des envahisseurs forcément anglo-saxons.



LA RUE ET LA PLACE SAINT-JACQUES                                                   


La rue Saint-Jacques est une rue très ancienne de Montebourg puisqu’on en trouve mention  dans les archives de l’Abbaye dès le XIVème siècle, à la période même où l’on édifiait l’église telle qu’on la connaît aujourd’hui. Sûrement, les pèlerins anglais cheminant vers le Mont-Saint-Michel et Saint-Jacques en Galice y ont posé leurs pas.

La Place, elle, est moins ancienne: elle a succédé au cimetière qui entourait l’église et qui a été déplacé “par mesure sanitaire” à l’époque du Second Empire vers le Grand Clos (surnommé parfois “le Cllos à Jacques”). Depuis, “l’église Saint-Jacques va pieds nus” comme l’a déploré Mgr Le Nordez.

La Place a servi a accueillir la fête foraine de la Saint-Jacques, le 24 et le 25 juillet, et la louerie aux grands valets et aux triolettes qui se tenait jusqu’après guerre sur le parvis de l’église.

Chaque veille de la Saint-Floxel, en septembre, des juments suitées de leurs poulains de l’année, et des non suitées, se présentaient pour le concours de poulinières, alors que la foire aux chevaux avait lieu le lendemain sur la place voisine, la Place Nationale.


L’EGLISE SAINT-JACQUES                                                                     


L’église Saint-Jacques a été construite en dix ans au XIVème siècle sur la décision de l’abbé du monastère bénédictin voisin, Pierre Ozenne que la tradition dit avoir été “Cassin”. Elle a été consacrée le 2 septembre 1329.  Elle succédait à une église plus modeste, citée dans une charte du XIIème siècle, et dont les fonts baptismaux (une cuve romane creusée dans la pierre et décorée de quatre figures et de rinceaux de végétaux) ont été conservés dans la “nouvelle église”.

Tous les Montebourgeois, pendant des siècles, ont marqué là les étapes de leur vie: baptême, communion, mariage, enterrement... Quelquefois, de jeunes Montebourgeois devenus prêtres y célébrèrent leur première messe.

Et le 9 août 1896, elle servit d’écrin au sacre de Mgr Le Nordez, le fils du tailleur devenu évêque après avoir été professeur à l’Abbaye, et prédicateur de talent à Sainte-Geneviève de Paris (l’actuel Panthéon). En souvenir de son sacre, Mgr Le Nordez fit restaurer et remettre à l’honneur dans l’église une statue de Saint Jacques en albâtre, sortie des ateliers anglais au XVème siècle.

Enfin, au-dessus de son portail, se dresse une autre statue de Saint Jacques datant du XIVème siècle (et donc du même âge que l’église), que les Montebourgeois couronnent chaque veille de la fête du Saint Patron, le 24 juillet au soir, avec des fleurs rouges, en chantant l’antienne “O Lux et Decus Hispaniæ, Sancte Jabobe”, et, depuis 1893, ce cantique très XIXème, “Patron vénéré de nos pères, Saint Jacques, entendez nos vœux...” qui s’accompagne sans difficulté aux cuivres et aux pleins jeux de l’orgue qui fut installé en tribune en 1930 pour commémorer le 6ème centenaire de l’église... avec un an de retard! L’heure était pourtant à Montebourg une préoccupation.

La preuve: au début des années 1900, on installa au-dessus de la tour, au pied de la pyramide de la flèche quatre cadrans bien visibles qui résistèrent aux tourmentes jusqu’en juin 1944. L'horloge arriva en quatorze caisses en gare de Montebourg-Ville.



LA RUE VERGLAIS                                                                                  

Bien qu’elle soit orientée au Nord et ventée, le nom de la rue Verglais n’a rien à voir avec le climat de l’hiver. Elle porte le nom d’une famille de notables cassins qui compta dans ses rangs un curé de Montebourg au XVIème siècle et plusieurs médecins.

On l’appelait aussi la rue des Ecoles, fondées vers 1580 par Bon de Broë, alors abbé du monastère de Montebourg. Les écoles ont toujours été situées dans cette rue: école paroissiale de garçons sous l’Ancien régime, puis école communale de garçons et de filles (de chaque côté de la rue, pas sous le même toit!) à laquelle s’ajouta l’école libre de filles, “l’Ecole des Anges”.

Ce n’est pas tout: au plus proche de l’église, une maison était confiée aux religieuses de Saint-Sauveur-le-Vicomte pour tenir un ouvroir et donner aux jeunes filles le savoir-faire nécessaire pour bien tenir une maison.

La rue Verglais est aussi celle par laquelle on accédait au presbytère, une longue  et élégante bâtisse construite quelque dix ans avant la Révolution pour une somme de 4 000 £ ce qui souleva les protestations véhémentes d’une bonne partie de la population, et dont on retrouve les sequelles dans le texte du cahier de doléances montebourgeois.

Dans le bas de la rue était située la Gendarmerie, un immeuble bâti sur trois niveaux, avec sa prison en annexe, et qui abrita, du règne de Louis-Philippe à 1944, une brigade qui fut longtemps “à cheval”.


LA RUE DES PRÊTRES                                                                             


Elle relie la Chasse du Chœur de l’église à la Place du Petit Marché, et elle est prolongée par une ruelle surnommée le “Commodo”, qui descend le long des remparts vers la route de Saint-Floxel dite de la Grosse Planche.

Le nom de la “rue des Prêtres” vient de ce que, sous l’Ancien Régime, il y avait à Montebourg de nombreux ecclésiastiques, résidents dans la ville, prêtres “habitués”, sans fonctions pastorales (ils n’étaient ni curé ni vicaire) et dont le rôle consistait à célébrer les messes de fondation offertes par les familles à la mémoire de leurs défunts.



LA PLACE DU PETIT MARCHE                                                                


C’était le lieu où se vendait le “tripot”, c’est-à-dire les produits de la campagne au marché du samedi, un marché dont l’origine remonte au temps de Guillaume le Conquérant et qui fut confirmé en 1105 par son fils, Henri 1er Beauclerc, roi d’Angleterre et duc de Normandie .

C’est à un angle de la Place que fut érigée à la fin du XIXème siècle la mairie et son campanile, dans l’alignement d’un bâtiment plus ancien, le Poids du Roi, qui avait abrité sous l’Ancien Régime les étalons des poids et mesures (aunes, boisseaux et autres standards d’avant le mètre et le litre) servant à contrôler le commerce.

L’étage servit aussi de salle de Justice à l’abbé de Montebourg les jours de foires et de marché. Aux premières heures de la Révolution, en 1790, l'abbé, Mgr de Talaru l’avait mis à la disposition de la municipalité pour servir de mairie, en attendant mieux. Avant la Grande Guerre, il abritait le marché à beurre. Et pendant l’Occupation, les dames du Secours National y confectionnaient des colis pour les prisonniers en Allemagne.

En 1922, on érige sur la Place le Monument aux Morts dominé par un Poilu casqué, droit debout, tenant une grenade à la main dans un geste proche de celui du semeur. L’attitude a été donnée par Mgr Le Nordez pour qui un soldat était forcément un homme debout: geste figé dans le bronze par le sculpteur Alexandre Descatoire. Mgr Le Nordez ne vit pas l’œuvre: il mourut à la Chandeleur 1922, plus de six mois avant l’inauguration du monument.


LE RIVET, LA RUE MGR LE NORDEZ ET LA RUE DE L’ABBAYE                 


De la Place du Petit Marché, on descend vers la rue Mgr Le Nordez qui porta d'abord le nom de Planitre et de Grande Rue par une rue courte, étroite et abrupte, le Rivet.
La Grande Rue, devenue Rue Mgr Le Nordez, débute à l’angle de la rue de Carentan, entre la “Quarre à Bignon” et la “Quarre à Pergeaux”.
Face aux remparts construits par ordre du roi de Navarre, Charles le Mauvais en 1375, en pleine Guerre de Cent Ans, la rue longe l’hospice, hôpital pour les Montebourgeois invalides ou malades, et orphelinat pour les enfants trouvés, fondé en 1723 par Mgr de Carbonnel de Canisy, ancien évêque de Limoges et qui, titré abbé de Montebourg, s’était retiré dans son abbaye.

Au carrefour de la route de Saint-Floxel qui mène au lavoir de la Grosse Planche, la rue prend le nom de rue de l’Abbaye, bordée par les maisons, parfois modestes, du “Bourg l’Abbé” et aboutit aux murs de l’Abbaye. C’est la route qui mène au havre de Quinéville et à la mer.

L’ABBAYE                                                                                              


Du vieux monastère bénédictin fondé au temps de Guillaume le Conquérant et enfermé dans sa vingtaine d’hectares ceinturés de murs, il ne reste pas grand chose vers 1890: la Révolution est passée par là, destructrice. Il n’y a plus de cloître, plus de bâtiments monastiques; l’abbatiale est réduite à la base des murs médiévaux et à celle des piliers, et elle sert de jardins promenoir et de cimetière aux frères enseignants, les Frères de la Miséricorde, qui se sont installés sur le domaine de l’Abbaye en 1844.

Restent les portes médiévales et la maison que Mgr de Carbonnel de Canisy avait fait édifier pour sa retraite vers 1700, et que les frères transformèrent en classes et en pensionnat. Restaient aussi le jardin à la française du temps de Mgr de Talaru, le dernier abbé avant la Révolution, et le moulin alimenté par les eaux de la Durance et de l’étang, avant que la vapeur ne vienne en actionner les mécanismes.

En 1892, les frères qui enseignaient dans une vingtaine d’écoles et d’orphelinats dans la Manche, mais aussi dans les Deux-Sèvres et dans la région parisienne, voulurent donner à l’Abbaye de Montebourg l’aura d’une Maison-Mère de Congrégation religieuse et décidèrent, malgré les temps troublés de lutte anti-religieuse, de reconstruire l’église abbatiale, à partir de son plan et de ses vestiges, dans le style de ses origines, le style roman normand en utilisant comme exemple l’abbatiale Saint-Georges de Boscherville près de Rouen, qui datait de la même période que l’abbatiale montebourgeoise.

En 1903, les frères furent expulsés, le gouvernement ayant refusé de confirmer la reconnaissance officielle que la Congrégation avait obtenue sous le Second Empire. Le domaine fut racheté in extremis par un groupe de Montebourgeois dont le plus déterminé était Edme Le Saché qui se retrouva en prison pour s’être opposé à la mise sous séquestre des biens des frères. L’Abbaye fut alors confiée au diocèse de Coutances qui y fonda une école normale libre pour la formation d’institutrices, avec des classes auxquelles s’inscrivirent nombre de petites filles de Montebourg.

En 1922, la communauté des frères de Montebourg rentra à l’Abbaye, mais affaiblie, sans recrutement. Courageusement, les religieux reprirent la construction de l’abbatiale qui s’acheva deux ans à peine avant que la communauté ne s’agrège à l’Institut des Frères des Ecoles chrétiennes de Saint Jean-Bapiste de La Salle. C’était en 1938. Quelques rares frères de Montebourg étaient encore présents à l’Abbaye après la guerre.
Pendant l’Occupation, les Allemands s’installèrent dans une partie des bâtiments, et la cohabitation entre les soldats et les frères et leurs pensionnaires ne fut ni de tout repos, ni sans risques...