L'église de Montebourg, une aquarelle de John-Louis Petit, 1863


On connaît l’attrait qu’a exercé la Normandie sur les artistes anglais tout au long du XIXème siècle. A la fin des guerres de l’Empire, les Anglais redécouvrent la France dont plus de vingt années de perturbations et de blocus les avaient privés. 
La Normandie était devenue un endroit de prédilection pour les peintres et les graveurs, à la faveur notamment de la publication du premier volume des “Voyages pittoresques et romantiques dans l’ancienne France”, consacré à cette province, illustré de lithographies d’Isabey père et fils, d’Evariste Fragonard et de Richard Parkes Bonington (1802-1828). Ces artistes avaient déjà commencé à prendre conscience du pittoresque de cette province. C’est ainsi que John S. Cotman (1782-1842) fit plusieurs séjours en Normandie, en 1817-1818 et en 1820, commandité par son mécène Dawson Turner de Norwich. Il en rapporta une série d’aquarelles architecturales superbes qu’il rassembla en 1820 dans une publication intitulée “Architectural Antiquities of  Normandy”.
William Turner (1775-1851), lui aussi, prit le chemin de la Normandie à partir de 1821. En 1826, il fit des crayons sur la route du côté de Caen, Bayeux, Isigny, du Cotentin, de Coutances jusqu’à Granville et au Mont-Saint-Michel, s’intéressant au pittoresque de l’architecture (un de ses carnets de voyage témoigne de sa curiosité pour le dôme en casque de Sarrasin de l’église de Valognes), mais aussi aux scènes de la vie locale, emplissant ses pages d’études de personnages en costumes de paysans, d’équipements et d’animaux. John-Louis Petit, a son tour, s’est inscrit dans cette tradition des artistes anglais amateurs de Normandie, à une époque où les peintres français se passionnaient eux aussi pour les paysages normands : Camille Corot avait peint Honfleur en 1841 et Saint-Lô vers 1855. Eugène Boudin venait d’y créer avec Jongkind et Gustave Courbet la Ferme de Saint-Siméon. Antoine Guillemet, qui connaissait bien le groupe, “fils” de Corot, allait vongt ans après s’inspirer des rivages de Morsalines, de Barfleur et de Saint-Vaast... 

Le Révérend John-Louis Petit, 1801-1868

Le Révérend John-Louis Petit, 1801-1868, descendant d’un Huguenot français, est né à Ashton-under-Lyne (près de Manchester) le 31 mai 1801. Il fit ses études à Eton suivies d’un titre de Bachelor of Arts (BA) en 1823, et de Master of Art (MA) en 1824 à Trinty College à Cambridge. L’Eglise d’Angleterre lui conféra les ordres sacrés la même année : il devint vicaire de Bradfield, près de Manningtree (au sud d’Ipswich, Essex), mais il ne remplit aucune tâche pastorale. Disposant d’une fortune suffisante pour se livrer à son art, il n’a jamais exposé ni vendu ses œuvres pour vivre. A cause de cela, il est aujourd’hui le plus souvent référencé comme « artiste amateur ». Pourtant, il s’est probablement formé chez des maîtres aquarellistes anglais de haute réputation, comme Peter de Wint (1784-1849, natif du Staffordshire). Il y a en effet une similitude frappante entre le travail de Petit et celui de ce maître reconnu. D’ailleurs, Peter de Wint est connu pour avoir pris des élèves “amateurs” dont le travail était identifiable par cette similitude avec son style, mais dont les noms n’ont pas été retenus. On peut donc supposer que le Reverend John-Louis Petit fut l’un de ces élèves. 

Influences

Peter de Wint avait fait lui aussi une visite en Normandie, en 1828, mais il avait conclu à son retour qu’il y avait en Angleterre suffisamment de thèmes séduisants pour inspirer son art : animaux de ferme, scènes campagnardes, phénomènes atmosphériques, sujets architecturaux. Compréhension du sujet, maîtrise de la réalisation l’élèvent au rang des plus grands. Il a réalisé des sous-bois qui se rapprochent étonnamment de Cézanne. De Wint avait rencontré un peu vers 1805 Thomas Girtin (1775-1802) et John S. Cotman (voir plus haut), et avait marqué durablement par Girtin, au même titre que Cotman. C’est de cette généalogie artistique qu’est né John-Louis Petit. 

Légende : Thomas Girtin (1775-1802), Jedburgh Abbey vue du Sud-Est, aquarelle sur crayon avec des ajouts de gouache, 42,3 x 55,4 cm, sans date. Le style de Girtin a inspiré J-L. Petit par l’influence qu’il a exercée sur son maître, Peter de Wint. 

  
Montebourg
L’aquarelle de John-Louis Petit qui représente l’église de Montebourg étudiée de l’angle Sud-Ouest, aux abord de la Place Saint-Jacques est caractéristique du style de l’artiste anglais. Le travail « en plein air » qu’il privilégie a pour modèle un sujet de prédilection : un bel exemple d’architecture religieuse médiévale dont il rend avec délicatesse les volumes et les jeux d’ombres, et dont il traite les détails avec une grande élégance. La richesse des teintes de la pierre et des ardoises s’allie à celle du maginfique rendu des couleurs et de la lumière du ciel tourmenté de l’hiver en Cotentin. Le résumé de la tradition anglaise est dans cette double passion pour l’architecture et les nuages. 
Comme Peter de Wint, son maître, et de nombreux autres aquarellistes anglais “ de plein air ”, Petit n’a pas signé ses œuvres. Néanmoins, le dos de chaque aquarelle porte une inscription au crayon avec la localisation (« Montebourg »), la date, le numéro dans le catalogue du peintre, et également un dessins plein de charme que l’artiste griffonne habituellement pour illustrer les événements quotidiens qui émaillent ses voyages et les riens qui l’amusent le long de la route. Ses personnages reviennent souvent et on peut les identifier comme le réprésentant lui-même, ou bien sa nièce, etc. Dans le cas de l’aquarelle Montebourg, le personnage semble prendre un véritable plaisir en pataugeant dans une mare d’où jaillissent des poissons. 
L’intérêt historique de cette aquarelle est indéniable: il présente l’église Saint Jacques “nus pieds”, c’est-à-dire sans son cimetière. En effet, celui-ci avait été supprimé une dizaine d’années auparavant, et il restait, à son emplacement, un promotoire vague, non stabilisé.  Il avait fallu alors étayer les murs de la nef avec de très imposants contreforts, les piliers s’écartant sous la poussée des voûtes. Ces contreforts donnent par ailleurs une grande force aux lignes essentielles de l’église, ce que rend fort bien le travail de John L. Petit. Monseigneur Le Nordez, natif de Montebourg, a raconté dans ses souvenirs d’enfance, la translation des ossements de ce cimetière autour de l’église, ce qui aurait pu advenir à la fin du règne de Louis-Philippe ou au début des années 1850. 
Jean-Louis Petit est décédé cinq ans plus tard, le 2 décembre 1868, à Lichfield dans le Staffordshire. Il avait publié entre 1841 et 1854 plusieurs ouvrages importants illustrés sur l’architecture des églises anglaises, et un ouvrage à succès sur l’architecture en France, rééditée en 1890.

Jean Margueritte